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Les femmes au parlement en 2023 : la préoccupante question de la violence sexiste en politique

Article de fond de l'UIP n° 2

Le rapport annuel de l'UIP sur les femmes au parlement, basé sur les élections tenues en 2023, fait état de quelques progrès limités, mais aussi de tendances inquiétantes - notamment des femmes qui quittent la politique en invoquant l'épuisement et les menaces. Dans cet article de fond de l'UIP, nous reprenons les principaux éléments du rapport ainsi que trois études de cas réalisées dans le monde entier.

Les chercheurs de l'Union interparlementaire (UIP) suivent de près les élections de 2024 pour déterminer l'impact qu'elles auront sur le nombre de femmes siégeant au parlement. 

La présence des femmes au parlement est vitale pour la représentation démocratique. L'égalité des sexes, outre le fait qu'elle contribue probablement à une meilleure efficacité des parlements, leur permet de représenter plus pleinement la diversité de leur électorat. 

Cependant, le rapport de l'UIP intitulé Les femmes au parlement en 2023 révèle qu'en dépit de la lente progression du nombre de femmes parlementaires, les femmes demeurent sous-représentées dans toutes les régions du monde. Fin 2023, les femmes représentaient 26,9 % des parlementaires, soit une hausse d'à peine 0,4 point de pourcentage par rapport à l'année précédente. 

L'UIP accorde également de l'importance à l'égalité d'accès des femmes aux postes à responsabilités. Elle s'est félicitée de la nomination, en 2023, de la première femme à occuper le poste de premier ministre en Guinée équatoriale, ainsi que de l'élection des toutes premières femmes présidentes de parlement au Cambodge et en Côte d'Ivoire.

Qu'est-il donc possible de mettre en place pour accroître la représentation des femmes au parlement ?

Le rapport de 2023 dégage au moins trois facteurs influant sur le nombre de femmes siégeant au parlement : les quotas, le mode de scrutin et l'environnement politique, ce dernier étant susceptible d'engendrer épuisement et violence à l'encontre des femmes actives en politique. La place importante prise par les questions de genre a aussi influé sur certaines élections. 

Épuisement et violence

En 2023, des dirigeantes de premier plan ont décidé de quitter leurs fonctions en Finlande, aux Pays-Bas, en Nouvelle-Zélande et en Slovaquie. L'une des raisons invoquées pour justifier ces décisions est l'épuisement découlant de plusieurs années éprouvantes, marquées par des crises multiples, notamment la pandémie de COVID-19, les pressions inflationnistes et la guerre en Ukraine. La seconde raison invoquée par les femmes en responsabilité était qu'elles se trouvent fréquemment confrontées à la violence et aux attaques personnelles. Ce sujet préoccupe l'UIP depuis 2016 au moins, date à laquelle l'Organisation a publié la première étude mondiale sur la violence à l'encontre des femmes parlementaires.

La violence à l'encontre des femmes qui font de la politique n'est pas un phénomène nouveau. Toutefois, des données empiriques donnent à penser qu'elle s'étend et s'intensifie, l'attention qui lui est consacrée et la prise de conscience de son impact s'accroissant en parallèle. La violence visant les femmes politiques en responsabilité, les femmes parlementaires et les candidates aux élections prend de nombreuses formes, depuis les commentaires misogynes jusqu'aux agressions et aux violences sexuelles, mais aussi aux agressions physiques, dans certains cas mortelles. Les observateurs estiment que cette violence prend un tour plus sophistiqué, notamment en raison des possibilités offertes par les outils numériques. Il est à craindre que l'intelligence artificielle n’accélère cette tendance. 

Au Libéria, en Thaïlande et en Nouvelle-Zélande, par exemple, des photos trafiquées de certaines candidates, y compris des images à connotation sexuelle, ont circulé en ligne dans l'intention de nuire à leur crédibilité. En Nouvelle-Zélande, les candidates ont subi des menaces, des violences et des cambriolages, ainsi que des injures publiques, parfois à caractère racial.

Dans certains cas, les femmes politiques ont été victimes d’attaques à l’occasion de débats nationaux sur l'égalité des sexes. En Pologne, où les droits des femmes faisaient partie des grandes questions de la campagne électorale, certaines candidates ont été victimes de violences sexuelles et physiques. Une parlementaire a été agressée physiquement et une autre a reçu des menaces de mort la visant, elle et les membres de sa famille. Des photos retouchées diffusées avant les élections montraient une troisième candidate embrassant un homme. 

La violence à l'encontre des femmes en politique constitue, outre une violation des droits humains, un obstacle majeur à la participation et l'influence égale des deux sexes. Elle dissuade les femmes de s'engager dans une carrière politique et remet en cause leur capacité à s'acquitter de leur mandat politique.

“Plus de femmes au parlement est synonyme d'institutions plus inclusives et plus représentatives, et donc de démocraties plus fortes et plus saines. Nous devons convaincre les jeunes femmes et les filles que, malgré la difficulté de la tâche, elles méritent de s'asseoir à la table des négociations, de participer à la prise de décision et d'améliorer la vie des gens par le biais de leur travail.” Dr Tulia Ackson, Présidente de l’UIP et Présidente du Parlement de la République-Unie de Tanzanie

Solutions

Certaines parlementaires ont riposté, souvent encouragées par le mouvement #MeToo et la remise en cause progressive de la mansuétude dont bénéficiaient les violences sexuelles. En s'exprimant ainsi, elles ont placé des limites et donné l'exemple à d'autres. 

En France, par exemple, une enquête a été ouverte à l'encontre d'un député soupçonné d'avoir versé de la drogue dans le verre d'une collègue parlementaire dans le but présumé de l'agresser sexuellement. Au Royaume-Uni, une femme parlementaire a déposé plainte à la police contre un collègue qu'elle accuse de l'avoir harcelée sexuellement à la sortie d’une fête en 2021. Une parlementaire australienne a révélé que lorsqu'elle avait tenté de soulever le problème du harcèlement, on lui avait laissé entendre qu'elle manquait d'humour. En 2023, deux sénatrices australiennes ont accusé un collègue de harcèlement et d'agression sexuelle. 

De nombreux parlementaires ont commencé à prendre cette question plus au sérieux et, ce faisant, ont entrepris de rendre les parlements plus sûrs et plus accueillants pour les femmes. En 2023, les parlements de l'Australie, du Bénin, de l'Islande et de l'Irlande ont tous pris des mesures pour lutter contre la violence à l'encontre des femmes politiques, notamment par le biais d'enquêtes et de l'adoption de codes de conduites. 

Encouragé par l'UIP, l'Althing (parlement) islandais a par exemple adopté une stratégie et un plan d'action qui passent notamment par des formations régulières, dans le but de lutter contre les actes d'intimidation et le harcèlement sexuel et sexiste. Au Bénin, l'Assemblée nationale a, pour sa part, collaboré avec l'UIP pour sensibiliser à la question de la violence à l'encontre des femmes au parlement en instaurant un mécanisme de gestion des plaintes. 

L'UIP a aidé les parlementaires à trouver d'autres solutions, par exemple augmenter la résilience des femmes parlementaires grâce au soutien entre pairs, renforcer la solidarité entre femmes parlementaires par-delà les clivages politiques et les frontières, accroître la représentation des femmes au parlement et adopter des codes de conduite. 

En 2023, l’UIP a organisé une réunion-débat intitulée « Les femmes en politique : persévérer ou non ? » à laquelle ont participé des parlementaires du monde entier. La discussion a porté sur les obstacles rencontrés par les femmes dans la conduite de leur carrière politique. © Parlement angolais

Quotas et modes de scrutin

Le rapport de l'UIP met en exergue d'autres façons de faire augmenter la représentation des femmes au parlement. L'un des points clés concerne les quotas électoraux. Les analyses révèlent en effet que les femmes constituent 28,8 % des représentants élus ou nommés dans les pays qui ont appliqué des quotas en 2023. Par comparaison, 23,2 % de femmes en moyenne ont été élues ou nommées dans les chambres exemptes de quotas, soit une différence de plus de cinq points de pourcentage.

Des quotas ont par exemple été appliqués à la Chambre haute de l'Eswatini et aux parlements du Bénin et de la Sierra Leone. Ces trois chambres ont enregistré la plus forte progression de l'année en matière de représentation des femmes, soit 20, 18,5 et 15,9 points de pourcentage respectivement. Toutefois, pour que les quotas remplissent leur rôle, ils doivent être clairs et bien conçus et sous-tendus par des mécanismes assurant efficacement leur respect.

Le rapport de 2023 met également en lumière l'importance du mode de scrutin. L'analyse menée par l'UIP révèle qu’en 2023, dans les systèmes de représentation proportionnelle, 28,7 % des élus étaient des femmes. Ce chiffre est nettement plus élevé que dans les systèmes majoritaires, dans lesquels 11,6 % seulement des élus étaient des femmes. Cette différence s'explique en partie par la présence plus fréquente de quotas dans les systèmes mixtes ou de représentation proportionnelle.

 

Au Bénin, où le nouveau code électoral de 2019 a mis en place des sièges réservés pour les femmes, la proportion de femmes parlementaires atteint désormais 25,7 %, soit une augmentation de 7,2 points par rapport au scrutin précédent. © Yanick Folly/AFP

Les revers enregistrés en Tunisie en matière de représentation des femmes ont également souligné l'importance des quotas et du mode de scrutin. En 2022, la Tunisie a adopté une nouvelle loi électorale supprimant les exigences d'égalité entre les sexes sur les listes de candidats et remplaçant le système de représentation proportionnelle existant par un système majoritaire uninominal. Alors que la représentation des femmes avait grimpé jusqu’à 31 % en 2014, les femmes n'ont remporté que 16,2 % des sièges à l'issue des élections législatives de 2022 et 2023. Les Tunisiennes candidates aux élections ont aussi été confrontées à des intimidations et des menaces, qui ont remis en cause leur capacité à se mesurer aux hommes en étant sur un pied d'égalité avec eux.

L'amélioration doit continuer

Certains pays ne ménagent pas leurs efforts pour améliorer la représentation des femmes au parlement, mais d'autres semblent au contraire régresser. L'Afrique sub-saharienne est la région ayant enregistré la plus forte progression de la représentation des femmes, mais ces progrès n'ont pas été uniformes. Au Nigéria, les tentatives pour instaurer un quota dans la perspective des élections de 2023 se sont soldées par un échec. Suite à ces renouvellements, les femmes ne représentent que 2,8 % des parlementaires à la chambre haute et 3,9 % à la chambre basse.

La lutte en faveur de l'égalité des sexes au parlement continue donc. Outre le fait que le rapport annuel Les femmes au parlement publié par l'UIP contient les données les plus fiables et les plus complètes sur la question, il pointe également les mesures que les pays peuvent prendre pour continuer à accroître la représentation des femmes. 

Études de cas

Pologne

L'avortement a pris une importance décisive lors des élections législatives en Pologne. Bien qu'un léger fléchissement du nombre de femmes sénatrices ait été enregistré à l'issue de ces élections, cette question a incité un grand nombre d'électeur à se rendre aux urnes et a influé sur les politiques en faveur de l'égalité des sexes. 

Les élections se sont révélées très conflictuelles, les femmes candidates étant confrontées à des attaques verbales misogynes, à des agressions physiques, à des menaces de mort et à la diffusion d'images truquées.

La colère à l'égard du parti au pouvoir, le Parti Droit et Justice (PiS), a été alimentée, entre autres attaques à l’encontre des droits des femmes, par les restrictions croissantes imposées par ce dernier en matière d'avortement (restrictions pourtant déjà parmi les plus dures d'Europe). Une décision de justice de 2020 a restreint encore plus durement l'avortement, ce qui a entraîné le décès de plusieurs femmes, décuplant la colère de l'électorat. 

La Coalition civique (KO), principal parti d'opposition, a déclaré que les droits des femmes étaient "la question numéro 1". Ce parti a activement défendu les 48 % de candidates sur ses listes et promis de revenir sur l'interdiction de l'avortement. Cet argument a porté auprès des électeurs, tout spécialement les femmes et les jeunes, qui ont été particulièrement nombreux à se rendre aux urnes, privant le PiS d’un certain nombre de sièges pour les confier à une coalition de partis centristes et libéraux. 

Fin 2023, les femmes détenaient 29,3 % des sièges de la chambre basse et 19 % de ceux de la chambre haute, deux chiffres inférieurs à la moyenne européenne, qui se situe à 31,6 %. Les femmes, qui représentaient pourtant 44,5 % des candidats, n'étaient que 24,9 % à la tête des listes présentées par les partis.

 

Sierra Leone

En 2023, la Sierra Leone a accompli d'importants progrès en matière de représentation des femmes au parlement, à mettre en grande partie sur le compte des quotas électoraux de femmes. La loi sur l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes adoptée en janvier 2023 exige que 30 % au moins des sièges parlementaires soumis au vote, des portefeuilles ministériels et des postes dans d'autres institutions soient détenus par des femmes.

Cette nouvelle loi a permis de faire considérablement augmenter la représentation politique des femmes. Auparavant, ces dernières ne représentaient que 14,5 % des élus siégeant au parlement. Suite au renouvellement de 2023, toutefois, ce chiffre a augmenté pour atteindre 30,4 %. De surcroît, une femme a été élue au scrutin indirect à l'un des 14 sièges réservés aux chefs traditionnels provinciaux, ce qui a porté la représentation totale des femmes à 28,2 % des 149 sièges, soit un chiffre nettement supérieur à la moyenne de l’Afrique de l’Ouest, qui s’établit à 18,4 %. 

L'UIP, qui collabore avec la Sierra Leone depuis 2014, a organisé des ateliers en 2023 aux côtés du parlement de ce pays dans le but de promouvoir la compréhension de la nouvelle loi et le soutien en sa faveur. Ces ateliers ont formulé des recommandations concernant le soutien à fournir aux candidates et incité les parlementaires hommes et femmes à plaider en faveur de listes de partis plus inclusives. 

Les élections ont confirmé les données antérieures indiquant que les quotas (s'ils sont bien conçus et appliqués avec efficacité) constituent un facteur décisif pour accroître la représentation des femmes. La Sierra Leone a considérablement contribué aux progrès d'ensemble réalisés par l'Afrique sub-saharienne, où les femmes ont remporté 19,1 % des sièges parlementaires dans les 13 chambres dans lesquelles des élections se sont déroulées en 2023. Ce résultat se situe 3,9 points de pourcentage au-dessus de la proportion de sièges remportés par des femmes à l'issue des renouvellements parlementaires précédents pour les mêmes chambres, soit la hausse la plus importante de toutes les régions en 2023. 

 

Équateur

Le parlement monocaméral de l'Équateur a fait un pas dans le sens de la parité en 2023 grâce à une loi sur l'égalité des sexes et un mode de scrutin faisant appel à la représentation proportionnelle. Alors que la représentation des femmes stagnait à 38 % environ, la nouvelle loi, adoptée en 2020, a marqué un tournant.

La loi électorale équatorienne imposait déjà aux partis de présenter le même nombre de candidats masculins et féminins sur leurs listes de candidats en alternant entre les hommes et les femmes. La nouvelle loi exige dorénavant des partis qu'ils augmentent progressivement le nombre de femmes figurant en tête de leurs listes. En 2021, le pourcentage requis était de 15 %. Ce chiffre a été porté à 30 % pour les élections de 2023 et il atteindra 50 % en 2025. 

Les retombées de cette loi se sont réellement fait sentir en 2023, année au cours de laquelle le nombre de femmes élues au parlement a considérablement augmenté. Les femmes ont remporté 59 des 137 sièges en lice (soit une proportion de 43,1 %, c’est-à-dire 5,1 points de pourcentage au-dessus des élections précédentes). 

Cette progression a aidé la région des Amériques à conserver sa première place en matière de représentation des femmes avec une moyenne de 35,1 % des sièges parlementaires détenus par des femmes dans toutes les chambres et tous les pays de la région en 2023.