Skip to main content

Principales conclusions de l'audition d'experts d'avril 2019 sur la désinformation et les "fake news"

Bulletin de l'innovation | Deuxième édition | 28 juin 2019
Meeting on fake news

L'audition d'experts sur les "fake news". © IPU/Aboos Images

Bulletin de l'innovation de l'UIP, Deuxième édition, 28 juin 2019

L'audition d'experts sur les mesures parlementaires visant à lutter contre la désinformation et les "fake news" a eu lieu le 9 avril 2019 à l'occasion de la 140e Assemblée de l'UIP, à l'initiative de la Commission permanente de la démocratie et des droits de l'homme. Mme Arda Gerkens (Pays-Bas), Vice-Présidente de la Commission permanente, conduisait les débats. M. Tommaso Venturini (France), Centre Internet et Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; Mme Shalini Joshi (Inde), Vérification, PROTO et cofondatrice de Khabar Lahariya, le seul réseau numérique d'information rurale en Inde et M. Preslav Nakov (Qatar), scientifique principal, Qatar Computing Research Institute (QCRI), ont participé à cette réunion en tant qu'experts. Voici quatre des conclusions de ce débat, retranscrites par Tommaso Venturini.

Et si on parlait de "junk news" (malinformation) plutôt que de "fake news" (désinformation) ?

La conclusion la plus précieuse de cette réunion a été d'étendre la réflexion de la problématique étroite des canulars en ligne à celle, plus large et plus délicate, de la qualité du débat public en ligne. Tous les experts ont convenu qu'il était impossible de résoudre de tels problèmes par la simple détection et élimination des contenus problématiques. Dans ce contexte, c'est l'infrastructure même de la communication en ligne et la façon dont cette infrastructure contribue à détériorer le dialogue politique en ligne qu'il convient de mettre en cause. M. Venturini a proposé de faire appel, pour débattre de cette question plus vaste, au terme de "malinformation" (par analogie avec la malbouffe), afin de mettre en évidence le caractère addictif de ce type de désinformation et de braquer les projecteurs sur le système industriel dont elle est l'émanation. M. Nakov a lui aussi souligné le rôle majeur joué par l'intérêt financier associé à la monopolisation de l'attention des internautes, dont il considère qu'il est pour une large part responsable de la visibilité croissante accordée aux propos provocateurs et diviseurs.

Nuisible ne veut pas dire illégal

Plusieurs interventions du public ont mis en évidence la nécessité de régler la question de la "malinformation" sans empiéter sur la liberté d'expression en ligne et hors ligne. Arda Gerkens, qui présidait la réunion, a proposé d'établir une distinction, considérée comme très utile, entre contenu en ligne "nuisible" et "illégal". Bien que la ligne de démarcation entre les deux soit parfois difficile à établir, il ne serait pas judicieux de les aborder sous le même angle. Les contenus "illégaux" (c.-à-d. incitant à la violence, au terrorisme ou à toute autre activité délictueuse) doivent être identifiés et éliminés en prenant appui sur la législation existante, mais il ne serait pas adapté d'appliquer la même politique à la "malinformation", qui ne peut pas être supprimée individuellement (mesure inapplicable et évocatrice de censure) mais qui doit être combattue en s'attaquant à ses racines économiques et techniques.

La transparence des algorithmes et des modèles commerciaux des plateformes

Un vaste consensus a également réuni les intervenants et le public autour de la conviction que cette problématique était pour une large part le fait des réseaux sociaux, qui doivent être tenus pour responsables des conséquences engendrées par leur infrastructure technologique et commerciale. Conformément à la distinction entre contenus nuisibles et illégaux opérée précédemment, il serait inapproprié de charger les plateformes de superviser ou de filtrer la "malinformation" (les transformant alors, pour reprendre les termes de M. Nakov, en une sorte de "Ministère de la vérité") en leur confiant un rôle comparable à celui qu'elles assument en matière de suppression des contenus illégaux. La première étape pour les amener à assumer leurs responsabilités consisterait plutôt à les contraindre à davantage de transparence concernant leurs modèles commerciaux (qui achète leur espace publicitaire, pour quels messages, à quel moment et à quel tarif, etc.) et les algorithmes auxquels elles font appel pour filtrer et formuler des recommandations. Tant que le législateur ne disposera pas d'informations précises concernant le fonctionnement technique et financier de ces plateformes en ligne, il ne sera pas en mesure de réglementer efficacement leurs activités.

Le journalisme comme rempart d'un débat public sain

Le meilleur antidote contre la détérioration du débat public et la montée de la "malinformation" reste le travail mené par les journalistes d'investigation sérieux. Là encore, l'avènement des réseaux sociaux, qui ont détourné à leur profit une large part des recettes publicitaires des médias journalistiques traditionnels, a eu de lourdes conséquences. Simultanément, toutefois, les médias numériques réduisent les coûts engendrés par la diffusion de l'information, ce qui autorise l'éclosion d'une multitude d'initiatives indépendantes et populaires en matière d'information. Les initiatives de diffusion de l'information de nature locale, indépendante et populaire telles que celle présentée par Mme Joshi doivent être encouragées par les pays, qui devraient leur prêter le concours dont elles ont besoin sans remettre en cause leur liberté ni leur indépendance.